Une expérience dans le bouddhisme Théravada
C’était une idée de mon père : « Avant d’arriver au Japon, tu devrais aller faire l’expérience d’un séjour dans un temple therāvāda, en Thaïlande. » Venant d’un enseignant zen qui lit beaucoup sur le bouddhisme ancien et qui en fait référence dans ses enseignements, l’idée ne m’a pas paru si saugrenue.
Après quelques recherches et quelques conseils reçus par les amis des réseaux sociaux, j’ai fait une demande pour rester dix jours au Wat Pah Nanachat, le monastère international des Moines des la forêt, qui se trouve dans le Nord-Est de la Thaïlande, à Ubon Ratchathani.
Il a été fondé en 1975 par le Vénérable Ajahn Chah (1918-1992) en tant que monastère annexe, à proximité de son propre monastère forestier traditionnel, le Wat Nong Pah Pong.
Une pratique qui nous place face à nous-même
En arrivant dans ce lieu immense au beau milieu de la jungle, je suis conscient que le séjour va être intense. On se lève tôt, on ne mange qu’une seule fois par jour et on dort peu. Le plus clair de notre temps est consacrée à la méditation. Les moines et les laïcs ne se mélangent pas. Les femmes laïques sont acceptées mais elles ont leurs propres espaces. On ne se croisent que rarement.
Nous sommes ici pour observer l’activité de l’esprit. Et si l’on se consacre pas entièrement à cette pratique, ce type d’expérience ne présente aucun intérêt. Il ne s’agit pas seulement de prendre conscience des pensées qui émergent à chaque instant, mais l’exercice réside sur l’effort constant d’en observer le mécanisme. Car à la fin, c’est un rouage qui fonctionne toujours de la même manière. Et ça, le Bouddha l’a bien décrit, tout a comme point de départ : le désir, l’intention.
C’est ainsi qu’en ce lieu, il est préconisé de ne pas s’attacher à son propre bien-être et de ne pas se complaire dans le confort, la sensualité ou encore le plaisir des sens. Notre literie se limite à un tapis sur le sol. Et pour ceux qui le demandent, ils peuvent aller s’isoler dans un kuti, une cabane dans la forêt qui n’a ni eau, ni électricité.
Voici la journée type, en dehors des jours spéciaux du calendrier lunaire :
3h00 : lever
3h30-4h00 : chant & cérémonie (canon pali)
4h00-5h00 : méditation
5h00-6h00 : balayage des allées (le jour n’est pas encore là)
6h00-7h00 : repos
7h00-8h00 : tri de la nourriture et préparation des plats avec les gens du village
(La nourriture est offertes par les gens du village et récoltés par les moines — pratique de Dānā)
8h00 : cérémonie avec les moines et les laïcs
8h30-9h00 : repas unique de la journée
9h00-9h30 : nettoyage des toilettes
9h30-15h00 : temps pour méditer, lire, marcher en méditation
15h00-16h00 : balayage des allées
16h30 : thé
18h15-19h : chant & cérémonie (canon pali)
19-20h : méditation
20h00 : coucher
Les jours d’observance du calendrier lunaire sont appelé Wan Phra.
Les soirées et la nuit sont consacrées à la méditation.
Mes proches m’ont demandé si j’avais ressenti la faim. Je leur ai répondu que non. La fatigue ? Non plus. Je dirais que la partie la plus difficile de cette expérience a été la lutte contre l’ennui.
En effet, je suis habitué aux lieux de retraites zen où le programme est tellement intense qu’on n’a pas vraiment le temps de s’ennuyer. Ici, c’est l’inverse. Entre 9h30 et 15h00, on se retrouve face à nous-mêmes pour de longues heures. Bien sûr, l’idée n’est pas de se laisser distraire par la lecture ou d’autres activités. Ni de se laisser aller à la paresse. Nous devons nous consacrer à la noble activité de : s’observer !
Pulsions, angoisses, peurs, colère, ennui, désir, envie de se divertir, on passe d’un état à l’autre pendant plusieurs jours avant que l’esprit ne se calme. Puis peu à peu, on devient Un avec le temps qui passe et on se détache des émotions passagères. Bien entendu, la méditation aide et on s’y consacre sans mesure : assise, en marchant, couchée.
« Vêtu de lin blanc et de probité candide » - Victor Hugo
Dès mon arrivée, j’ai eu un entretien avec le moine en charge des personnes laïques. Avant toute chose, il prend soin de coffrer tous les appareils électroniques (liseuses, portables, ordinateurs, etc.). Lors de notre échange, il m’a questionné sur ma vie de moine zen. Ne connaissant pas trop cette tradition, il a semblé surpris d’apprendre que nous étions autorisés d’avoir une vie de famille et une vie professionnelle qui nous permet de gagner de l’argent. D’ailleurs, lui ai-je dit, vivre au cœur de la vie sociale, c’est toute l’affaire des moines zen de la lignée de Taisen Deshimaru.
Je l’ai tout de suite rassuré en lui disant que pendant ces 10 jours, je resterai avec les laïcs et je serai vêtu, comme eux, d’un haut et d’un pantalon blanc.
Dans le bouddhisme, il existe de nombreuses écoles et traditions. C’est ici l’occasion de faire un petit point de rappel pour les lecteurs qui ne connaissent pas trop ces différences. On compte trois grands courants : l’hināyāna (Petit véhicule) dont le theravāda (bouddhisme ancien) est la seule école encore existante, le mahāyāna (grand véhicule) et le vajrayana (le véhicule de diamant). On va se pencher ici sur les Moines de la forêt, qui font partie du theravāda et sur le zen Sōtō, tradition qui appartient au mahāyāna.
Il est important de garder à l’esprit que, peu importent les différences ou les formes, ce qui réunit absolument toutes les écoles et les traditions du bouddhisme, c’est la doctrine du Bouddha, l’enseignement sur les quatre nobles vérités, le sentier octuple, le Paticca-Samuppaya (coproduction conditionnée) et les concepts d’anitya(impermanence), de dukkha (souffrance) et d’anatta (non-soi).
Mais le bouddhisme a cette force de s’être adapté aux pays qu’il a traversés au fil des siècles. Au Wat Pah Nanachat, la tradition des Moines de la forêt est l’une des voies les plus orthodoxes, qui s'appuie sur le canon pāli. Les moines respectent le vinaya (discipline, en pali), un corpus de textes bouddhiques ayant trait aux pratiques de la vie monastique et leurs règles de conduite sont au nombre de 250 pour les moines.
Je ne souhaite pas développer ici un article sur les préceptes bouddhiques, mais plutôt de voir dans quelles mesures cette expérience auprès des Moines de la forêt m’a permis de mieux comprendre ma propre tradition, le zen Sōtō. Car au risque d’être trop plongé dans sa propre école, on peut vite en oublier son origine et les message essentiel du Bouddha.
Sur les préceptes et la méditation : theravāda vs mahāyāna
Jamais auparavant, je n’avais vraiment compris pourquoi il existait de si nombreux styles de méditation dans le bouddhisme, et pourquoi les règles et les préceptes ne se pratiquaient pas de la même manière selon la tradition.
Depuis mon expérience au Wat Pah Nanachat, tout fait sens.
Dans la tradition des Moines de la forêt, le moine recherche l’accès à la délivrance — l’Éveil ou le Nirvana — en devenant un arahant (personne délivrée). Pour cela, il va pratiquer une méditation (samādhi et vipassanā) constituée d’étapes qui, progressivement vont le faire accéder à l’Éveil. Et pour que sa quête se déroule dans les conditions les plus optimales, il va bien sûr suivre les préceptes et de nombreuses règles basées sur le renoncement. Règles qui vont contribuer à sa libération.
Dans l’école japonaise du zen Sōtō, le moine ne recherche pas à atteindre l’Éveil. D’ailleurs, il ne court derrière aucun but (mushotoku) au risque de s’éloigner de sa propre réalisation (satori) dans l’ici et maintenant. Il ne recherche pas sa propre libération ultime, mais à s’éveiller à ses propres souffrances, à sa nature impermanente et non substantielle. Il pratique dans le samsara pour libérer les autres de la souffrance.
Pour ce qui est de la méditation, le zazen, la posture est exigeante et l’attention revient à chaque instant sur le corps et la respiration. Les pensées sont laissées à elles-mêmes et on les laisse passer comme des nuages dans le ciel, sans les saisir, sans s’y attacher et sans les alimenter.
Les préceptes dans le zen sont au nombre de seize. La figure centrale du bouddhisme mahāyāna est celle du Bodhisattva, pour qui le vœu est de retarder sa propre libération par compassion pour les autres.
Ainsi, entre le theravāda et le mahāyāna, l’approche pourrait être résumée en une seule phrase : L’Éveil de l’Arahant VS la compassion du Bodhisattva.
Le moine zen et la vertu du cœur
La tradition du zen Sōtō, qui trouve son origine dans le bouddhisme chān chinois, a son lot de règles de conduite qui ont su évoluer avec le temps. On y trouve les règles monastiques qui sont énoncées dans le shingi, dont la première est très connue dans notre tradition. Elle vient d’une parole du moine Hyakujo (749-814) : « Une journée sans travail, une journée sans manger ». À noter que dans l’école theravāda, un moine ne peut pas travailler.
En plus de ces nombreuses règles, les moines et les laïcs reçoivent les seize préceptes (kai) du bodhisattva. Alors que les préceptes sont considérés comme des commandements dans le theravāda, dans le zen, ils prennent la forme d’une prescription d’un être bienveillant, comme celle d’un médecin. Le Bouddha est d’ailleurs appelé aussi le Grand médecin.
L’approche est donc totalement différente. Si nous prenons le premier précepte, le théravada l’exposera ainsi : « Ne pas tuer ». Dans le zen de maitre Dogen, la formulation sera différente. On dira plutôt: « Évite de tuer » ou parfois même : « Protège le vivant ».
Ces dernières années, la question sur la fin de vie a fait débat dans le monde du bouddhisme. Faut-il faciliter la fin de vie d’une personne qui souffre ? Pas facile de trouver un consensus.
Plus qu’une simple souplesse d’esprit, c’est la vertu du cœur qui fait foi chez le moine zen. Car pour lui, rien n’est fermé, établi ou entériné. Si la règle n’est pas considérée comme quelque chose de vivant, elle enferme et aveugle. Il n’est pas rare au Japon, de voir un maître zen partager un verre de saké avec d’autres moines, alors que le cinquième précepte énonce de ne pas s’intoxiquer l’esprit. Mais qu’est-ce qui intoxique davantage l’esprit, un verre de saké ou nourrir une colère ou des idées extrêmes ?
Dans le bouddhisme ancien, l’un des préceptes dit qu’un moine ne doit pas avoir de relation sexuelle. Dans le zen Soto, ce même précepte se formule ainsi : Ne pas avoir d’inconduite sexuelle. Si à l’origine les moines zen ne pouvaient pas avoir de rapport sexuel, c’est l’école du zen Soto (Sotoshu) qui bien plus tard, a autorisé les moines à avoir une vie de famille.
Le moine zen répand le dharma par son attitude et sa manière de vivre. Sa moralité est profonde et il se met en résonance avec ce qu’il est bien de faire dans cet ordre cosmique. Pour lui les règles sont un appui pour l’aider à faire le bien et ne pas pratiquer le mal.
Dans son quotidien, il travaille sur la compréhension profonde de la sagesse. Il fera des choix qui mettront en avant le bien-être de tous les êtres plutôt que de courir après ses propres désirs. La pratique de la compassion et de la gentillesse est au cœur de sa vie.
Le dernier jour, j'ai eu la chance d'avoir un entretien privé avec l'abbé du monastère Wat Pas Nanachat, qui m'a posé de nombreuses questions sur le zen. À la fin de notre conversation, nous avons tous les deux constaté les similitudes de nos deux traditions, qui ne cherchent qu'à libérer la souffrances de tous les êtres vivants.
Voici un très bel enseignement de maître Wu Dao sur la paix intérieure, la compassion et la gentillesse.
Enseignement du maitre chinois Wu Dao sur la paix intérieure, la compassion et la gentillesse « La compassion et la gentillesse sont des piliers fondamentaux de la philosophie zen. Affronter l'adversité avec un esprit compatissant, c'est comme arroser les graines de l'harmonie et de la sérénité dans notre être. Lorsque quelqu'un nous critique ou nous provoque, l'envie naturelle est de répondre par colère ou ressentiment, ce qui ne fait qu'augmenter la négativité en nous-mêmes et dans l'environnement. Cependant, la sagesse zen nous invite à reculer et à nous observer dans ces moments, reconnaissant que nos réponses émotionnelles sont souvent ancrées dans nos propres insécurités et attachements. Flexibilité et impartialité sont liées à la notion de laisser aller nos idées préconçues et d'ouvrir notre esprit à diverses perspectives. Ce faisant, nous nous libérons des liens de jugement et de préjugés, ce qui nous permet de trouver des solutions plus harmonieuses et plus équilibrées aux défis qui se présentent dans la vie. L'enseignement zen nous rappelle que la violence, physique ou verbale, n'est jamais une solution authentique ou enrichissante. Au lieu de réagir avec agressivité, nous sommes encouragés à cultiver la capacité de rester calme et calme, en embrassant la paix intérieure et en la répandant aux autres par nos actes et nos paroles. Lorsque nous apprenons à éviter les disputes inutiles et à ne pas nous laisser entraîner par la négativité, nous découvrons une puissante liberté dans notre être. La liberté de ne pas être asservis par l'opinion des autres, de ne pas laisser les événements extérieurs affecter notre tranquillité intérieure. C'est comme si une sérénité immuable était atteinte au milieu des tempêtes de la vie. Nous devons ne pas nous en tenir aux circonstances extérieures, nous libérer du fardeau émotionnel que celles-ci peuvent entraîner. En restant concentrés sur notre être intérieur et sur l'essence pure de notre esprit, nous sommes capables de vivre une paix profonde qui n'est pas affectée par les influences extérieures. Le chemin moyen nous invite à reconnaître que la véritable force repose dans la paix intérieure, la compassion et la sagesse. En développant ces qualités en nous-mêmes, non seulement nous trouvons une vie plus pacifique et harmonieuse, mais nous irradions aussi ce bien-être vers le monde qui nous entoure, contribuant ainsi à un changement positif dans l'humanité. "Dans le calme intérieur et la compassion, nous trouvons la vraie liberté de dissoudre la violence et de vivre en harmonie. »
- Maître Zen Wú Dǎo
Merci de de ce récit Stan. Ayant trouvé mon ‘bonheur‘ dans le Zen, je ne voyais pas l’intérêt d‘aller voir au-delà du mur. Ton histoire me rappelle qu’en se regardant à des lumières variées, de nouvelles perspectives s révèlent. Valeria